Yann Leguay - Quasi Static Crack Propagation

YANN LEGUAY - Quasi Static Crack Propagation (Consumer Waste, 2013)
Le label consumer waste publiait habituellement des disques sous forme d'une pochette en carton recyclée repliée sur elle-même parfois grossièrement, c'était pas très engageant, mais la musique était excellente. Avec ce disque, le label propose un nouveau format de présentation avec une pochette (recyclée toujours) au format 45 tours, plus propre et alléchante, qui inclut également un livret. Et la musique est toujours aussi bonne.

Cette nouvelle formule correspond à la sortie du nouveau Yann Leguay (aussi connu comme Phonotopy), un artiste résidant en Belgique qui s'intéresse beaucoup aux médias de diffusion. Ainsi, un de ses disques vinyles était livré sans le trou central, ou certains ont pu le voir durant certaines performances se livrer à la destruction ordonnée de matériel musical (micros, guitare, etc.). Tout ce qui peut avoir un lien avec la production ou la diffusion de musique intéresse Yann Leguay, et il s'y intéresse la plupart du temps pour mieux le détruire.

Avec Quasi Static Crack Propagation, Yann Leguay s'attache ainsi à détourner plusieurs supports de diffusion courants comme des baladeurs CD, des lecteurs cassettes, etc. Un détournement systématique mais qui n'est pas aussi crade que ce que l'on pourrait attendre de ce type de démarche. Les sonorités trouvées ne sont pas loin de ce que Voice Crack a pu faire, mais ici, il y a un côté plus rigoureux, plus rigide. Yann Leguay n'est certainement pas aussi proche de l'eai et des musiques improvisées que Norbert Möslang déjà, il se situe sûrement plus près de l'art sonore. Cette proximité avec le champs des installations, c'est peut-être ce qui joue sur le processus. Yann Leguay aborde chaque outils sonore un à un au fil des pièces, les outils donnent par ailleurs leur nom à chaque titre. Que ce soit un walkman, un lecteur cassette ou un disque dur, l'artiste l'aborde sous un angle précis, il capte rarement plus d'un ou deux sons et compose une pièce avec ce matériau réduit. Ce n'est pas très vivant, les morceaux sont assez statiques, comme le titre l'indique, ou répétitif et mécanique, et utilisent un matériau de base plutôt réduit, Yann Leguay joue sur des variations sensibles et physiques du média à travers les interactions éléctromagnétiques et la proximité des micros.

En tout cas, il fait preuve d'une grande inventivité, et parvient à faire ressortir des textures insoupçonnées des médias détournés. Et tout ça est fait avec une grande minutie, avec une précision et une finesse rares. Les sonorités sont proches de la noise - granuleuses, abrasives, extrêmes, mais ce n'est pas de la noise pour autant. Yann Leguay fait du bruit, mais pas pour faire du bruit. Il fait du bruit peut-être pour démontrer la richesse d'un acte destructeur, ou la richesse du détournement. Plus que le résultat, déjà impressionnant et riche par lui-même, c'est le processus qui compte. Un processus qui dévoile également les processus généraux de la musique et qui en fait une sorte de musique réflexive. Yann Leguay dévoile le bruit qui sous-tend chaque support de diffusion, le bruit quotidien qui se terre derrière chaque diffusion sonore, du téléchargement d'un disque de breakcore à l'écoute des Beatles pendant son jogging ou à l'enregistrement cassette d'une interview familiale.

Une suite créative, intéressante, qui ouvre de nouveaux territoires et pose des questions sur les processus de diffusion de la musique, des questions mises en musique qui forment une suite de pièces plutôt jouissives. Une vraie curiosité, plutôt réjouissante.