Keith Rowe - September (Erstwhile, 2012)

Il est parfois difficile d'écrire sur un disque - notamment quand il nous touche au-delà du raisonnable, et surtout lorsqu'il est abstrait et obscur. Et tel est bien le cas pour September je crois. Voilà pour les informations psychologiques, pour les informations sur la situation de l'enregistrement: il s'agit d'un concert enregistré le 11 septembre 2011 à NY, au festival Amplify, juste avant la performance chroniquée hier de Radu Malfatti et Taku Unami. Keith Rowe y avait apporté son éternelle guitare préparée sur table, des radios, et l'enregistrement d'un quintette pour piano de Dvorák.

L'utilisation de cet enregistrement contribue d'ailleurs en grande partie à la puissance de cette performance. En ouverture, en conclusion, et disséminée tout au long de ces 34 minutes, l’œuvre de Dvorák, une musique de chambre romantique aux allures nostalgiques et solennelles, s'oppose clairement à l'esthétique de plus en plus rugueuse et informelle de KR. Une opposition entre l'ancien et le moderne, entre l'écriture et l'improvisation, entre le beau et le laid, entre l'acoustique et l'électronique, entre l'unicité de la performance et la reproductibilité des enregistrements, mais aussi (grâce aux radios cette fois) entre musiques expérimentales (ou d'avant-gardes, et j'aurais presque envie de dire élitistes - tout comme l'était Dvorák à son époque) et populaires. Autant d'éléments, de questions et d'oppositions qui ont amenés KR à cette pratique unique de l'improvisation libre.

Après de multiples écoutes répétées inlassablement, aucune forme ne paraît surgir. Des interférences radios sont suivies d'un silence, un micro-contact est alors brusqué avec violence, le leitmotiv que constitue le quintette pour piano peut surgir à n'importe quel moment, des morceaux de pop et de rock provenant des ondes radios se mélangent aux grésillements et aux interférences d'une corde agitée par un ventilateur de poche. Mais tout ceci n'est pas linéaire, les changements de dynamique et d'intensité sont brusques et imprévisibles. Même le son de KR se fait de plus en plus radical, un son plus granuleux que jamais, plus rêche et abstrait. Un son qui démange, qui gêne, qui fait mal, et qui s'oppose d'autant plus aux musiques populaires et classiques intégrées à cette performance.

Mais après tout, ce doit être cet aspect imprévisible, spontané et urgent qui font de cet enregistrement un disque qui me remue autant à chaque écoute. Cette forme informelle plus que ce son unique et abstrait. KR joue sur les accidents, mais ne se laisse pas jouer par les accidents, il les connaît de plus en plus intimement et les maitrise aujourd'hui avec une virtuosité et une précision incomparables, hors du commun, surnaturelles. Car l'utilisation de l'électricité et des interférences ne guide plus la performance, la performance n'est guidée que par la volonté et la détermination de KR qui joue ensuite avec les accidents et les imperfections de la modernité. Mais aussi, comme je le disais, avec les oppositions entre l'improvisation , l'écriture, la musique populaire et la musique savante (l'improvisation libre - notamment telle que la pratique KR - se situant dans une zone intermédiaire très floue). KR sculpte une structure informelle qui se joue des oppositions institutionnelles en utilisant des matériaux issus des imperfections et des défauts techniques.

A chaque fois que je découvre un KR j'ai envie de le dire, mais je crois être sûr de moi aujourd'hui: je pense qu'il s'agit du meilleur solo de KR, le plus abouti et le plus savant, le plus précis et le plus puissant en tout cas. Un solo d'une richesse sonore incroyable, sur une structure informelle et obscure et d'autant plus surprenante et envoutante. A écouter impérativement!