Jennifer Allum & Eddie Prévost - Penumbræ (Matchless, 2011)

Jennifer Allum: violon
Eddie Prévost: "percussion frottée" (bowed percussion)

Je crois que c'est la première fois que j'entends Jennifer Allum, violoniste membre du "Post Quartet" londonien spécialisé dans la musique expérimentale de la seconde moitié du 20e à aujourd'hui (Wolff, Cardew, Pisaro, etc.), et qui collabore régulièrement en concert avec des improvisateurs anglais comme John Butcher, Seymour Wright ou Eddie Prévost. Pour ce disque crépusculaire, elle se fait l'exploratrice d'un instrument finalement assez peu utilisé dans la musique improvisée et plutôt difficile à intégrer et à dépasser, en compagnie d'Eddie Prévost, qui utilise presque toujours des archets afin de faciliter la symbiose.

La première partie de ces enregistrements est composée de trois "études" qui explorent le violon et les percussions à travers la médiation constante de l'archet, et bien sûr au-delà de leur utilisation fonctionnelle et formelle. Car même si une esquisse de trame mélodique peut parfois transparaître presque incidemment, c'est de l'archet d'Eddie Prévost qu'elle surgit. Mais ces trames sont aussi opaques et subtiles que rares, et c'est plutôt l'exploration du timbre qui est au goût du jour dans ce disque. Le duo investit les potentialités sonores propres à l'archet (et indirectement, aux instruments que l'archet médiatise) et en dévoile toutes les richesses, sans jamais cesser d'être à l'écoute du partenaire et de l'intégrer à son discours. Le dialogue entretenu est très dynamique, intense et beau puisqu'il n'est pas seulement fondé sur l'exploitation timbrale des instruments, mais aussi sur les possibilités qui résultent de l'interaction entre le violon et les percussions. C'est donc un voyage sonore puissant car chaque fois que le timbre de l'un se déploie dans toute sa richesse, il enrichie le paysage sonore de l'autre, dans un effet de réciprocité et d'égalité surprenant.

Comme l'a très bien remarqué Seymour Wright dans les excellentes notes du livret, la deuxième partie de ce disque diffère de la première seulement par le nom; car elle est également une exploration de l'interaction entre les archets. Du fait de la longueur de la pièce peut-être (37min), le son est moins homogène et les dynamiques varient plus. Tous les modes de jeux sont utilisés: attaques douces ou sèches et brutes, sons continus ou brefs, harmoniques déployées ou étouffées, etc. Comme dans les "études" précédentes, le déploiement de l'un enrichit toujours le discours de l'autre grâce à une écoute très sensible et attentive (et aussi à la pratique d'un "activisme sociologique" au sein de la musique). L'enrichissement se fait par assimilation, intégration, opposition, confrontation, soutien, etc., et cette architecture participe autant de la dynamique sonore que structurelle.

Prévost et Allum nous entraînent dans un voyage sonique minimaliste et dynamique, sensible et attentif; et pour l'auditeur, cette exploration est aussi submergeante que captivante. Richesse de l'archet, magie de l'entente et profondeur de l'écoute s'associent à un dynamisme aussi cérébral qu'émotif, qui n'a étonnamment rien d'hermétique ou de froid. Malgré leur aspect systématique, ces études sont vraiment chaudes et humaines, ouvertes aux émotions et à la sensibilité (pas seulement intellectuelle), une recherche où le dynamisme interactif suscite autant d'émotions qu'il captive l'attention.

Tracklist: 01-Investigative Study I / 02-Investigative Study II / 03-Investigative Study III / 04-Dolwilym Penumbra